À l’occasion de sa rétrospective au Château de Laréole cet été, le peintre Bernard Cadène nous a reçus chez lui pour une interview autour d’un café.
Tout l’été, près de Toulouse, au Château de Laréole, le Conseil départemental de la Haute-Garonne présente l’exposition « Bernard Cadène 60 ans de création ». Des toiles d’enfant et d’étudiant, son travail publicitaire et ses œuvres récentes sont rassemblées pour la première fois. Bernard Cadène « c’est une vie de création internationalement appréciée », résume Georges Méric, président du Conseil départemental de la Haute-Garonne. L’artiste regarde aujourd’hui sa cote avec modestie. Ses œuvres sont présentes dans une vingtaine de pays dans le monde, dans des collections privées et institutionnelles, ainsi que dans une quinzaine de galeries. Pour évoquer cette superbe rétrospective au Château de Laréole mais aussi son histoire, Bernard Cadène nous a donné rendez-vous chez lui, à Cugnaux.
Deux têtes, 2018. Gouache sur papier, 39 x 28 cm.
« Tout artiste se veut
au bonheur des autres. »
Un matin pluvieux de mai, le peintre nous reçoit autour d’un café dans son très bel atelier. Des fenêtres de toit et de grandes baies vitrées ouvrant sur le jardin baignent le lieu de lumière. Une table à dessin, un grand bureau, des affiches et des tableaux aux murs, une collection de disques de jazz, la cafetière. Le sol est maculé de peinture. Sur les coffres de volets roulants, sur les poutres de la rochelle au-dessus du bureau, sur le réfrigérateur, l’artiste a écrit des aphorismes, des formules qui font sourire comme des slogans publicitaires. De nombreuses toiles dans leurs caisses américaines sont appuyées contre le mur en attendant le transporteur pour Laréole. Devant un mur de photographies personnelles, son chevalet. Côté droit, ses peintures à l’huile, côté gauche l’acrylique, de marque américaine Golden.
Originaire de l’Aveyron, adolescent à Albi, étudiant à Toulouse, peintre à Tournefeuille puis Cugnaux, Bernard Cadène est véritablement un enfant du pays. En parlant de lui, il parle de nous, cela peut-il expliquer un peu l’immense succès de sa peinture ?
Une très belle exposition personnelle vous est consacrée du 1er juin au 29 septembre au Château de Laréole, au nord de Toulouse. Que découvrira le public ?
Des tableaux de jeunesse d’avant et pendant les Beaux-Arts, mais aussi des tableaux de professeurs qui ont compté pour moi. Dans une salle, un film sur mon atelier est projeté, dans une autre des dessins et des croquis sont présentés. Mon travail actuel est exposé également. Voilà ma dernière toile, je l’ai appelée : « peinture fraîche, le tout bleu village ». Elle sera présentée. Je l’aime beaucoup. C’est complètement décalé par rapport à mon travail précédent. Je suis attiré de plus en plus par l’abstrait. Mon passé de dessinateur me le permet comme la connaissance des harmonies et du solfège permet à un musicien d’aller plus loin. Je ne suis pas un peintre à message. Ma peinture vient du cœur. Ça passe ou ça casse.
« Laissez-lui faire ce qu’il voudra sinon vous n’en ferez rien. »
Peignez-vous tous les sujets ?
Oui, des paysages, des natures mortes, des monuments, des nus…
Au-dessus de votre baie vitrée est inscrit : « J’ai déjà un pied dans la tombe et je n’aime pas qu’on me marche sur l’autre ». Vous semblez à l’aise avec ce thème. Vous indiquiez pourtant à La Dépêche du Midi en septembre 2017 ne pas peindre la mort. Pourquoi ?
Je suis en pleine forme. J’avais l’intention pour Laréole de peindre mon cercueil. Un cercueil peint avec mes couleurs, un peu tordu, trop court, avec mes pieds qui dépassent, et sur le côté un rétroviseur pour voir certains cons venus à la cérémonie. On diffuserait l’hymne des Beaux-Arts « Le Pompier ». L’idée plaisait au commissaire de l’exposition mais je n’ai pas eu le courage. Mon cercueil, dans mon atelier…
Saint-Sernin, 2019. Technique mixte sur toile, 100 x 100 cm.
Par technique mixte, entendez acrylique et huile, gras sur maigre.
Très tôt, le dessin et la musique ont été vos deux passions. Vous avez étudié le violon puis la contrebasse et la guitare basse. Peut-être est-ce votre père accordéoniste ou votre grand-père chef de la musique des mines de Decazeville qui vous a donné le goût de la note. Mais le dessin puis la peinture, d’où cela vous vient-il ?
J’ai toujours dessiné. À 8 ans, j’ai gagné le premier prix national de dessin d’enfant. Mais le déclic, je m’en souviens très bien. Je vivais avec mes parents à Albi. C’était un jeudi, je me promenais dans les jardins du palais de la Berbie, sur lesquels donne le musée Toulouse-Lautrec. J’ai croisé le conservateur du musée, un ami de mes parents. Il m’a proposé d’entrer dans le musée et de m’y promener. C’est ainsi que j’ai découvert le travail de Toulouse-Lautrec, sa créativité, la beauté de son dessin. Par la suite je ne pensais qu’à dessiner. Le jour où j’ai repeint en jaune pétard la porte du proviseur de mon lycée, j’ai été renvoyé, mes parents désespérés. C’est ma marraine qui m’a sauvé. Elle était médecin, sa parole comptait. Après m’avoir gardé 15 jours elle a déclaré à mes parents : « Laissez-lui faire ce qu’il voudra sinon vous n’en ferez rien ». C’est ainsi que je suis entré en classe préparatoire puis aux Beaux-Arts. J’étais sauvé, je faisais ce que je voulais. La journée j’étudiais, le soir je jouais dans l’orchestre Jacques Vila. Je me suis payé la liberté en faisant de la musique. Et je n’ai rencontré aucune difficulté pour devenir professeur.
Sans titre (village), 1956. Huile sur toile, 57 x 65 cm.
« Nous rentrions avec mes parents de vacances au bord de la mer. Nous allions souvent du côté de Biarritz. La peinture est un peu naïve. Elle ne me déplait pas. J’avais 14 ans. »
Des Beaux-Arts à la publicité, n’y a-t-il eu qu’un pas ?
Nommé professeur de dessin à Carmaux en 1968, j’ai démissionné au bout d’un jour et demi. L’enseignement n’était pas fait pour moi et je préférais être à Toulouse qu’à Carmaux. Je suis un soixante-huitard. Je passais mes nuits au Père Léon, place Esquirol. J’y vais encore souvent boire un café. Un de mes tableaux récents y est exposé. Je me suis lancé dans la publicité pour des raisons alimentaires. Ça a très bien marché.
Peinture fraîche, le tout bleu village, avril 2019.
Technique mixte, 116 x 89 cm.
Vous avez le sens de la formule. Vous avez réalisé plus de 300 films publicitaires dont « Lapeyre, y en a pas deux », « Tropico, c’est trop », « Quand c’est beau c’est Bosch ». En 1972, vous faisiez le buzz avec l’affiche : « Salle de bains pour tous » pour Anconetti.
L’objectif du client était de dire au public que le sanitaire Anconetti s’adressait à tout le monde. D’où l’idée de mettre dans le même bain les politiques de l’époque : Georges Marchais, Jacques Chirac et Pierre Mauroy. Un buzz énorme. Pas de procès de la part des baigneurs, j’ai gardé le client plus de 10 ans. Pour mon exposition au Château de Laréole, ma période publicitaire des années 1970 et 1980 est présentée, ainsi que des affiches. J’en ai créé plus de 200. Pour le meeting aérien de Francazal, Jazz en Comminges, Toulouse les orgues, la Foire de Toulouse…
Votre dernière affiche est pour votre rétrospective au Château de Laréole.
Je me suis fait le portrait. C’est moi, devant mes toiles.
Dans de précédentes interviews, vous indiquiez apprécier Miles Davis et Picasso. Quel lien faites-vous entre ces deux artistes ?
Ce sont deux immenses créatifs. Leur œuvre fait preuve d’une grande évolution. Prenez Picasso période bleue et ses œuvres des années 1950 par exemple, elles n’ont rien à voir. Même chose pour Miles Davis avec « Ascenseur pour l’échafaud » et ses derniers disques où il faisait du rap avant l’heure. Bernard Buffet a peint la même chose toute sa vie, ça m’intéresse peu. Tandis que je peux passer des heures au Prado à Madrid à contempler les œuvres du Gréco. Tout comme j’aime Toulouse-Lautrec.
Avez-vous vu l’exposition « Picasso et l’exil » aux Abattoirs à Toulouse ?
Pas encore mais j’ai prévu d’y aller, ainsi qu’à Albi voir l’expo Giacometti. La Fondation Maeght à Nice est extraordinaire, le musée Guggenheim à Bilbao… tout m’intéresse. Je suis curieux de tout. Mais vous savez, j’aime aussi ramasser les respounchous dans les bois près du canal de Saint-Martory, et tous les matins je retrouve les copains Au Grain de Café à côté de chez moi. »
Voilà près d’une heure et demie que nous discutons, l’interview touche à sa fin. En partant de chez Bernard Cadène, arrêt au Grain de Café place du marché à Cugnaux. « Il faut venir le matin pour voir ça, chuchote Patricia derrière son comptoir. Bernard est formidable. Il a toujours un mot pour faire rire le groupe. C’est le bout en train de la bande. » La porte du troquet s’ouvre. Bernard Cadène entre, ses amis attablés l’interpellent.
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